Congoscope

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samedi, avril 05, 2008

L'Euope dans les 5 chantiers ? *




Christophe Asselineau est avocat, responsable du Global Mining Group de Simmons & Simmons. Il nous présente la situation du secteur minier en RDC et plaide pour une implication sans délai de l’Europe et de la France dans ce dossier.

PROPOS RECUEILLIS PAR DOMINIQUE FLAUX

Les Afriques : Quelle est votre activité dans le secteur minier de RDC ?

Christophe Asselineau : Je conseille des sociétés minières, des banques et des fonds d'investissements présents en RDC ou souhaitant y investir. Cela fait une vingtaine d'années que je travaille sur ce pays. J’ai donc eu l'occasion d’y traiter de nombreux dossiers, de l'obtention de titres miniers aux contentieux internationaux en passant par les partenariats et les financements de projets.

LA : Quelle est la proportion des contrats miniers qui ont été ou qui seront « revisités » en RDC ? Comment se déroule le processus de « revisitation » ?

CA : La Commission a été créée en avril 2007 et a revu 63 contrats, soit la majorité. Il s'agit de contrats signés depuis 1996 et conclus entre l’Etat, des entreprises publiques ou semi-publiques et des opérateurs privés. Tous les contrats devaient être revus, mais certains n'ont cependant pas fait l'objet d'un quelconque examen. J'ai ainsi quelques clients qui ont échappé à ce processus et se demandent encore par quel miracle. La Commission a terminé et publié son rapport le 20 mars dernier, le gouvernement a avisé les sociétés minières des critiques de la Commission et des exigences du gouvernement et les a invitées à y répondre, ce qu’elles ont fait.

LA : Qui décide de revoir ces contrats et comment sont-ils revus ?

CA : Une des principales critiques faites au travail de la Commission est le manque de transparence. C'est, d’ailleurs, un reproche qui lui est fait, même par le Carter Center, une ONG américaine qui, pourtant, soutient, mais sans avoir aucune expérience, ni compétence en la matière, la « revisitation ». Il est évident que les membres de la Commission ont effectué un énorme travail de lecture mais, trop souvent, ce processus a abouti a des conclusions sans bases juridiques, ni économiques fouillées qui se résument à une exigence unique : « Cette transaction n'est pas " équitable ", donnez plus de cash à la Gécamines et augmentez la part congolaise dans les partenariats ». Ces demandes sont exacerbées par le cours actuel des métaux mais elles ne tiennent pas compte des énormes coûts nécessaires pour développer les gisements. Dans tous les partenariats, ces coûts sont supportés par les investisseurs internationaux qui doivent aussi, souvent, financer les parts de la Gécamines et de l'Etat. La Commission ignore aussi le fait que, et je peux en témoigner, certains de ces partenariats ont fait l'objet de très longues discussions au cours desquelles la Gécamines et l'Etat ont négocié, en toute connaissance de cause et très âprement, la hauteur de leurs participations et leurs parts de bénéfices. Il existe un mythe selon lequel tous ces contrats ont été signés à la va-vite, au milieu des tirs d'AK47 et des valises de cash. C'est séduisant mais très exagéré et c’est ce qui apparaîtrait en cas de contentieux. Le risque pour la RDC est que, si la « revisitation » se traduit par des expropriations, comme le rapport de la Commission semble l’indiquer, ne serait-ce que sur quelques actifs clés, le pays sera confronté à une foule de contentieux internationaux qui gèleront le développement minier, car peu de sociétés sérieuses nouvelles venues, et ce, quelque soit leur nationalité, accepteront d'investir les sommes nécessaires dans le développement d’actifs dont le sort dépend d'un arbitrage. Pour la RDC et Gécamines, cela signifiera la condamnation à des dommages et intérêts considérables et la perte des revenus substantiels que ces actifs auraient pu générer.

LA : A-t-on une idée des proportions entre l’exploitation minière informelle ou clandestine et l’exploitation légale, dans le secteur minier de RDC ?

CA : L'exploitation artisanale a augmenté avec le déclin de la Gécamines et l’augmentation des cours. Il est cependant très difficile de donner des statistiques fiables car cela dépend des métaux. Mais n’importe quelle opération minière industrielle en fonctionnement a une capacité de production nettement supérieure à plusieurs milliers d’artisanaux. La production artisanale, qui n’est pas forcément illégale, est sans doute bien supérieure dans le coltan ou les diamants que dans le cuivre. On entend de nombreux chiffres mais aucun de fiable, le pillage de la RDC étant d’ailleurs un thème populaire pour tout politicien ou ONG en mal d’inspiration. Ainsi, lors des états généraux des mines qui se sont tenus du 12 au 17 mars de cette année, certains prétendaient que 90% des exportations seraient illégales, mais sans donner aucune source, et les mêmes recommandaient que toutes les sociétés minières étrangères soient expulsées pour que l’exploitation des mines soit confiée uniquement aux mineurs artisanaux. Outre l’absurdité économique de tels propos et le désastre que cela signifierait pour la RDC, quiconque s’est rendu sur des installations minières artisanales connaît les conditions épouvantables dans lesquelles travaillent les creuseurs, souvent très jeunes et qui sont fréquemment victimes d’accidents mortels.

LA : Quelle est aujourd’hui la part de la Chine dans le secteur minier de RDC ? Au détriment de quels pays s’opère cette progression ?

CA : Rappelons tout d'abord que la Chine était déjà présente, il y a 10 ans, lors des premiers partenariats Gécamines. Actuellement, les opérations minières chinoises restent relativement modestes. Les choses pourraient cependant évoluer avec l'accord signé récemment entre la Chine et la RDC qui, grossièrement, est une sorte d'échange : des infrastructures contre des minerais. Le paradoxe est que cet accord ne semble pas conforme au nouveau code minier que l'Etat a pourtant toujours présenté comme le remède aux exemptions fiscales ad hoc du passé, qui sont d'ailleurs en partie l'objet du processus de « revisitation ». Cet accord risque donc de constituer un retour en arrière, mais qui pourrait sembler, à court terme, payant pour le gouvernement, notamment si ces infrastructures sont rapidement visibles par la population. Cependant, même cette mise en œuvre pourrait être difficile car, sur le terrain, les entreprises chinoises semblent importer la totalité de leur main d'œuvre, ce qui crée des tensions avec la population. A ce titre, il est vraiment très dommage que les Européens, et en particulier les Français qui disposent d'entreprises de construction et d'énergie puissantes, parlent la langue et ont l'habitude de travailler en Afrique en utilisant et en formant la main d'œuvre locale, n'aient pas proposé des offres combinées entre sociétés minières et entreprises d'infrastructures occidentales. Cela serait d'ailleurs un bon moyen pour changer l'image de la France en Afrique, en associant, par exemple, à nos compétences industrielles en matière d’infrastructures, nos deux principales sociétés minières, les marchés de capitaux européens et des partenaires miniers ou industriels occidentaux ou africains. La Commission européenne vient de lancer une consultation sur la sécurisation des approvisionnements en minerais. Ce serait sans doute une piste à suivre, mais il faudrait appliquer cette politique volontariste vraiment très rapidement. Incidemment on réaliserait aussi une des recommandations de la Commission Attali, bien plus importante que la reforme des taxis et peut-être plus facilement!

LA : Plusieurs observateurs annoncent un danger imminent de déstabilisation du gouvernement en place, voire de menace sur la personne du président Kabila, du fait de ce rapprochement d’intérêts entre la RDC et la Chine. Qu’en pensez-vous ?

CA : J'entends effectivement des rumeurs à ce sujet mais je ne sais pas si c’est lié à la transaction chinoise. Le problème pour un putschiste potentiel, et éventuellement mécontent du rapprochement avec la Chine, est le fait que l'actuel président a été élu à l'issue d'un vote tenu sous l'égide des Nations unies. Ce nouvel entrant devrait donc offrir à la communauté internationale une raison « présentable » pour justifier son coup d'Etat. Peut-être qu'en se posant comme le « sauveur de la RDC du dragon chinois » il rencontrera un petit écho favorable dans la population, au moins au Katanga, et, plus cyniquement, l'approbation officieuse de certaines capitales occidentales, mais il se peut qu'il préfère d'abord attendre un faux pas visible de l'actuel président avant de faire quoi que ce soit. Or Joseph Kabila s'expose assez peu.

LA : Le FMI exerce une forte pression pour que la RDC maîtrise davantage ses dépenses publiques. Le peut-elle dans le contexte actuel, notamment à l’est ?

CA : La situation dans l'est reste dramatique. Il suffit d’ailleurs de discuter avec certains officiers de la Monuc pour comprendre leur amertume quant à l'inefficacité du dispositif onusien. Ceci dit, je doute que ce conflit soit la source principale des problèmes de la RDC par rapport au FMI. La gestion anarchique de tous les postes des finances publiques est bien plus en cause. La RDC devait démontrer, avant fin février 2008, sa capacité à bien gérer ses finances. A la clef, il y avait la signature d'un 3e nouveau programme d'ajustement structurel, dans le cadre de l'initiative d'effacement de la dette des pays pauvres très endettés. Le FMI a maintenant donné à la RDC un sursis jusqu'au 31 mars, mais il y a peu de chance que les objectifs fixés soient atteints à cette date. A ce titre, la transaction chinoise, qui ferait substantiellement monter la dette nationale, semble en complète contradiction avec les objectifs du FMI : la réponse congolaise, qui ne manque pas de logique, est que la Chine ne pose pas de conditions et se dit prête à construire rapidement les infrastructures dont le pays à besoin. Il conviendrait peut-être que les institutions européennes, en liaison avec le FMI, fassent preuve d’un peu de créativité et de beaucoup de rapidité pour répondre à une telle demande. Des Français étant prochainement à la tête de ces deux institutions, il y a sans doute là une occasion unique d’élaborer et de mettre en œuvre rapidement une politique audacieuse associant sociétés privées et aides publiques dans l’intérêt commun de l’Europe et de la RDC.

* Le titre est de la rédaction

Paru in Les Afriques en ligne 4/04/2008